Les besoins nutritionnels des poissons d'élevage
La domestication des animaux et naturellement des poissons passe par la détermination de leurs besoins nutritionnels et la couverture de ces besoins avec les aliments élaborés contenant des ingrédients divers et ceci à un moindre coûts. Cette alimentation doit aussi assurer une bonne croissance, la bonne santé, le bien-être physiologique, la qualité de la chair et de faibles impacts sur l'environnement.
a. Nutrition énergétique
Les dépenses énergétiques du poisson sont de 5 à 20 fois plus faibles que celles des vertébrés supérieurs terrestres: au repos, la flottaison permet une quasi absence de travail musculaire et l'éctothermie (absence de thermorégulation) amène à ne dépenser pour les fonctions vitales qu'un minimum d'énergie surtout quand la température de l'eau est basse.
Les poissons, comme tous les animaux, tirent leur énergie de trois types de molécules : les glucides, les lipides et les protéines (ou protides). La digestion est assurée par des enzymes extrêmement voisines de celles des mammifères ou des oiseaux et elle conduit aux mêmes molécules: sucres simples, acides gras et acides aminés.
Toutefois, l'aptitude des poissons à digérer les macronutriments, n'est pas la même que celle des vertébrés terrestres: les poissons digèrent très bien les protéines alimentaires, de façon plus variables les lipides (les lipides saturés solides à basse T° étant mal digérés) et de façon médiocre certains glucides complexes comme l'amidon cru.
Les nutriments utilisés de façon préférentielle pour la production d'énergie sont les acides aminés dont le catabolisme conduit à la production d'ammoniaque.
Comme chez les autres animaux, on peut exprimer l'énergie du régime en mesurant la chaleur de combustion, soit de ;[1]
- l'aliment total (énergie brute), soit d'une :
- fraction de celui-ci:
énergie digestible ED (énergie brute – énergie des fèces),
énergie métabolisable EM (énergie digestible – énergie de l'urine et des excrétions branchiales) et enfin ;
énergie nette EN, sensée représenter la seule fraction réellement utilisable pour la croissance et l'entretien.
b. Nutrition protéique
Les protéines doivent représenter 38 à 44% de la ration pour les salmonidés durant la phase de croissance et 40 à 55% pour les poissons marins, contre 28-38% pour les poissons situés plus bas dans la chaine alimentaire (omnivores et végétariens) comme la carpe et le tilapia qui sont plus efficaces pour produire de l'énergie à partir de glucides alimentaires.
Les très jeunes stades nécessitent des contenus protéiques très élevés (de 40-55% quelle que soit l'espèce), puis les besoins diminuent au fur et à mesure que grandit le poissons (NRC, 2011).
Espèces | < 20g | 20-200g | 200-600g | 600-1500g | > 1500g |
---|---|---|---|---|---|
Truite arc-en-ciel | 48 | 40 | 38 | 38 | 36 |
Saumon atlantique | 48 | 44 | 40 | 38 | 34 |
Bar | 55 | 50 | 45 | 45 | - |
Daurade | 50 | 45 | 40 | 40 | - |
Carpe | 45 | 38 | 32 | 28 | 28 |
Tilapia | 40 | 34 | 30 | 28 | 26 |
Le rôle des protéines alimentaires est d'assurer l'entretien et la synthèse des protéines corporelles et donc la croissance protéique, mais toutes les sources protéiques n'ont pas la même efficacité.
Il faut d'abord bien tendu tenir compte de leur digestibilité, mais même à digestibilité égale, l'efficacité peut varier.
C'est pour cette raison que l'ont a introduit la notion de valeur biologique, aptitude d'une protéine alimentaire, une fois digérée, à permettre la synthèse des protéines corporelles plutôt qu'à servir simplement de source d'énergie.
Parmi les 20 AA qui constituent les protéines de tous les êtres vivants, les biochimistes et les nutritionnistes distinguent deux groupes :
Les acides aminés non indispensables : qui peuvent être synthétisées à partir d'une chaine carbonée et d'un groupement ainé, provenant de n'importe quel autre acide aminé, et ;
Les acides aminées indispensables: que les animaux ne peuvent synthétiser et doivent par conséquent trouver dans leur nourriture.
La valeur biologique d'une protéine est fonction de sa teneur en acides aminés indispensables (AAI). Il suffit que l'un d'eux soit en plus faible quantité que nécessaire (carence) pour que la valeur biologique soit réduite. C'est pourquoi les sources protéiques doivent apporter les 10 AAI aux poissons.
Il est préférable qu'elles apportent aussi certains acides aminés semi-indispensables, tels que la cystéine et la tyrosine qui ne peuvent être synthétisées qu'à partir d'AAI, ou comme la proline et la glutamine dont la synthèse est lente chez certaines espèces de poissons. L'ensemble des besoins en AAI n'a été déterminé que pour peu d'espèces de poisson.
c. Nutrition lipidique
Dans le cas de l'alimentation des animaux terrestres, il est rare que l'on attache aux lipides une importance dépassant leur simple rôle de source d'énergie. Certes il existe chez tous les vertébrés, comme chez de nombreux invertébrés, un besoin en acides gras indispensables AGI (appelés plus souvent essentiels) qui ont un double rôle: ils servent de substrat pour la synthèse de molécules de type hormonal, les Prostaglantines et composés apparentés, et ce sont des constituants essentiels des membranes cellulaires.
Il existe deux familles d'AGI dites n-3 (acides linolénique) et n-6 (acide linoléique). Quantitativement la famille n-3 a beaucoup plus d'importance chez les poissons que chez les mammifères et les oiseaux.
Une différence fondamentale dans la nutrition lipidique existe entre les poissons d'eau douce et les poissons marins; les premiers peuvent réaliser les mêmes bioconversions que les vertébrés supérieurs, tandis que les poissons d'eau de mer en sont incapables et doivent par conséquent trouver les acides gras polyinsaturés (AGP) à longue chaîne dans leur nourriture.
Ces derniers ne sont abondants que dans les produits marins où ils sont, à l'origine, synthétisés par le plancton. Il est donc impossible de se passer de lipides d'origine marine pour l'alimentation des poissons marins.
Malheureusement, les AGP sont particulièrement instables, ils sont sujets à des peroxydations préjudiciables à la qualité de l'aliment pendant sa conservation et à la santé de l'animal une fois absorbés.
C'est pourquoi les aliments pour poissons, plus que les autres, demandent des supplémentations généreuses en anti-oxydants de synthèse (pour protéger l'aliment) et en vitamines E et C (pour protéger l'organisme lui-même).
Il est possible de diminuer l'apport des AGP au strict nécessaire afin de limiter ces phénomènes, mais cela ferait diminuer leur rôle préventif contre les maladies cardio-vasculaires.
d. Vitamines
Les vitamines sont des nutriments essentiels, c-à-d nécessaires à la vie et aux bonne performances de l'animal, au même titre que certains AA et protéines, ou certains AG des huiles ou graisses.
Mais elles présentent, par rapport à ces derniers, deux caractéristiques principales:
d'une part elles sont nécessaires en quantité très faible et leur incidence sur le coût des formules est limitée;
d'autre part, leur analyse dans les matières premières est onéreuse.
Bien que la teneur des matières premières en vitamines soit très variable (ne serait-ce que plusieurs d'entre elles sont très instables), les fabricants ne font pas de contrôle systématique de l'apport de vitamines par leurs matières premières, préférant ajouter dans le complément une quantité équivalant au moins au besoin, c-à-d à la dose pour laquelle on n'observe pas de signe de carence et où les performances sont normale.
Cet apport comporte en fait un excès important qui correspond à la marge de sécurité que prend le fabricant pour compenser les pertes qui ont lieu pendant la fabrication et stockage du granulé.
Les marges de sécurité peuvent devenir exorbitants, par exemple pour l'acide ascorbique (Vitamine C), composé extrêmement instable, non nécessaire aux mammifères et aux oiseaux mais indispensables aux poissons (et l'Homme).
Il se trouve que, pour la Vitamine C comme pour la vitamine E, des excès par rapport au besoin peuvent renforcer les défenses immunitaires du poisson.
Dans les autres cas, les excès de vitamines n'ont aucun effet bénéfique; ce ne sont nullement des gages de qualités de l'aliment.
Dans le cas des vitamines A, D, E et K, les excès importants peuvent même théoriquement devenir nocifs; dans la pratique, ce n'est possible qu'avec des excès de vitamine K3.
Les vitamines ajoutées aux aliments sont en général d'origine synthétique; leur efficacité est la même que celle des vitamines naturelles, car leur formule est presque toujours identique.
Les formes commercialisées sont choisies pour leur plus grande stabilité. Des formes stables de vitamine C (phosphates) existent depuis peu.
e. Minéraux et oligo-éléments
Parmi les éléments minéraux, le phosphore est celui dont le besoin est le plus important. La minéralisation des structures osseuses (colonne vertébrale, opercules, écailles) est très dépendante de l'apport en phosphore.
Une carence en phosphore peut se traduire par une diminution de la croissance squelettique et pondérale (poids), la déminéralisation osseuse et des déformations squelettiques.
Un excès de phosphore dans les aliments peut aussi se traduire par un rejet important de P dans le milieu aquatique contribuant à l'eutrophisation.
Pour l'ensemble des minéraux et oligo-éléments, les données sur les besoins quantitatifs ne sont disponibles que pour quelques espèces : truite arc-en-ciel, carpe commune, poisson chat, tilapia, saumon du pacifique (NRC, 2011). Un travail important de méta-analyse/revue systématique des données disponibles pour l'ensemble des minéraux chez de nombreuses espèces de poissons vient d'être réalisé (Prabhu et al., 2014).
Les oligo-éléments minéraux, et en particulier le manganèse, le cuivre, le zinc, le fer et l'iode, bien que stables, sont, comme les vitamines, présents en quantité très variable dans les matières premières.
Ils sont de façon systématique dans les compléments pour poissons d'eau douce; ils sont beaucoup moins utiles chez les poissons marins qui trouvent aisément la presque totalité des minéraux dont ils ont besoin dans l'eau de mer.
Leur toxicité pourrait être considérable en cas d'excès et leur taux maximal d'incorporation est fixé pour certains d'entre eux (ex: cuivre).